“C’est ce qu’ont bien compris ces animaux artistes qui se maquillent, les humains. Certains motifs du maquillage ne sont pas de pures inventions de l’imagination humaine, des créations arbitraires: ils sont bio-inspirés. Ils accentuent les pouvoirs éthologiques du survisage humain, ils stylisent encore nostre masque animal.
Les deux cas le plus nets sont justement deux amplifications de contraste pour accentuer l’intensité du regard.
La première technique est l’eye-liner. En accentuant le contraste entre pupille et fond de l’œil par l’ajout d’une enceinte féline sombre, il mime la profondeur du regard de la panthère (elle dispose de naissance de cette ligne noire autour de l’œil).
C’est exactement la même structure sombre/clair/sombre qu’utilise le masque naturel du loup.
Hommes et femmes de théâtre fardent de nuit le tour de l’œil avant de monter sur scène: ils savent depuis toujours que cela en accentue l’expressivité.
Mais cette technique a été inventée par l’evolution des millions d’années avant les acteurs, par la lignée des grands félins, comme par d’autres.
L’eye-liner trouve son origine historique dans la poudre de khôl qui fardait les yeux des Égyptiens des deux sexes. Cette filiation est un indice, un détail révélateur d’une filiation plus profonde, qu’on peut pister jusque dans nos salles de bains.
L’Égipte antique était familière des métis d’animaux et d’humains (avec ses dieux thériantropes, à têtes de fauves, d’oiseaux, de serpents…)
Cette culture antique était aussi familière des survisages de la panthère et de l’antilope: c’était leur faune quotidienne.
Et c’est de l’Égypte antique qui provient une part de notre tradition du maquillage des yeux: dessiner le tour de l’œil, comme on le voit sur les fresques, et probablement aussi assombrir les cils.
Il n’est pas imprudent de conjecturer que le trait de khôl égyptien, donc l’eye-liner, est une technique bio-inspirée qui confère volontairement à l’œil humain l’intensité du regard de la panthère. Une technique qui capture le même amplificateur de contraste que l’évolution a peint sur le survisage de grands félins.
Dans une culture où votre déesse a une tête de lionne, où les animaux ne sont pas des bestioles mais des divinités, prendre leur survisage pour modèle dans l’apprentissage d’une expressivité intensifiée fait parfaitement sens.
Jusqu’à aujourd’hui, même les plus obtus ressentent douloureusement la puissance esthétique d’un survisage de panthère.
La tradition antique y a puisé des leçons de beauté, au sens vivant: la beauté comme manière d’habiter une forme.”
Fonte: Baptiste Morizot, “Manières d’être vivant”, Actes Sud, 2020
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